Musiques Innovatrices > Musiciens stéphanois > Les i

 

Marc Feuillet, chant

Bruno Meillier, saxophones

Yves Ranchon, guitare

Christiane Cohade, basse

Dominique Lentin, batterie


Augustes représentants du post-punk “à la française”, appellation, il faut le dire, totalement inconnue des nuanciers de l’époque, les i s’étaient au préalable abreuvés à la fontaine musicale effervescente des années 70 : prog, kraut, psyché, fusion, free,… Autant de genres signalant une décennie fantasque et éclectique, influençant une écriture prompte à se démarquer et confortant une pratique instrumentale aussi diversifiée qu’authentique. 
 

Dominique Lentin qui tomba dans la marmite plus tôt que ses petits camarades a autrefois fait partie de Dagon, Fille qui mousse ou Kool Gool dont les patronymes résonnent à l’amateur d’un “underground” éclairé, ainsi que s’en fit l’écho, à l’époque, le magazine Actuel. C’est en s’extradant de Paris et en investissant un atelier de passementerie au creux d’une vallée perdue entre Loire et Haute-Loire que le batteur rencontre en 1979 les rescapés d’un ensemble pour le moins hétéroclite, Johnny Joli Tracteur et ses beaux bulldozers (chant, basse, saxo, batterie et chœurs), et que se recompose à Saint-Etienne même un combo à l’intitulé aussi court que le précédent était long. Les i ne pourront rien faire sans excès. Le pli en est pris... et le ton donné : insuffler énergie et rythmes foutraques à une écriture léchée telle que Zappa ou Henry Cow, entre pas mal d’autres, en fondèrent les arcanes. Longtemps les i considéreront que la route la plus courte entre deux notes n’est pas forcément la plus droite et que de la courbe du virage nait le vertige ! D’où l’épithète de “tordu” dont sera affublé un temps le rock cadencé du quintette.
 

Malgré tout de leur temps puisqu’ils sont les contemporains d’autres tordus notoires du post-punk, The Fall ou XTC, les i se reconnaissent plus volontiers dans l’insouciance libertaire du Pop Group à Bristol (une aventure que prolongera Rip, Rig & Panic, emmené par la chanteuse Neneh Cherry). Puis se grisent au soul-funk-disco joyeux tel que Defunkt s’en fit le modèle, comme à l’âpre nectar no wave que concoctent Material, les Lounge Lizards ou DNA outre-Atlantique au même moment. Nulle coïncidence à ce que Bruno Meillier, leur saxophoniste, fonde à New York quelques années plus tard un groupe en compagnie de la batteuse Ikue Mori, tout en devenant un acteur sporadique de la Downtown Scene de laquelle tant de musiciens ont, depuis, revendiqué l’affiliation. 
 

Pourtant, les i ressortent de la famille de compositeurs-chansonniers qui, de Bobby Lapointe à Albert Marcœur en passant par Art Moulu Tréfin ou Etron Fou Leloublan (que Bruno intègre de 1981 à 1982), consolident les liens ténus entre verbe et son,  et s’exercent à l’ajustement minutieux sur leurs compos de textes en français, parfois truffés de drolatiques divertissements lexicaux, et non en anglais yaourt, à la façon si impersonnelle de la majeure partie des groupes hexagonaux.

Dans le contexte culturel faussement “branché” de la première moitié des années 80,  nos i, trop imprévisibles pour se soumettre aux codes d’une décennie désireuse d’enterrer une bonne fois pour toutes les seventies et leurs vociférations passées de ton, trouvent les occasions de plus en plus rares de se faire entendre, souffrant d’une discrimination qui condamne l’hybride et, en règle générale, tous les pas de côté. La fondation dans le même temps du mouvement Rock in Opposition, même si celui-ci devra ronger son frein des années encore, témoigne de cette emprise du show-biz sur la création que beaucoup de musiciens ayant eu l’outrecuidance de s’écarter des chemins tout tracés subissent alors.
 

La participation du groupe à de nombreux festivals (partageant les scènes et les publics des Rita Mitsouko, de Marquis de Sade, d’Here and Now, de Jac Berrocal, de Mike Westbrook, de Fred Frith, de Bill Laswell ou de Captain Beefheart), la production de deux clips vidéo (outil promotionnel obligé de l’époque) qu’illustre un passage télé à l’Echo des bananes sur France 3 et la parution de trois 33 tours, produits par Ferdinand Richard, bassiste-chanteur d’Etron Fou Leloublan (des liens de parenté proche qui ne se distendent pas),  pour les labels Celluloïd (1981), Le chant du monde (1983) et Ayaa (1986), témoignent d’un parcours singulier dont les fans se souviennent avec délectation. Et qui s’interrompit à l’issue d’un passage au Printemps de Bourges un soir fatal d’avril 1985.
 

En 2015, ses géniteurs toujours complices ont repris, le plus naturellement du monde, les choses où ils les ont laissées et se piquent au jeu de lui redonner vie sur scène. Miracle ! Le résultat n'est en rien daté. Peut-être même auraient-ils eu un brin d’avance ? Mais quoi qu’on en dise, ils sont au point.